Où commence la violence?

Où commence la violence?

Le suspect dans l’assassinat brutal récent d’un jeune homme dont l’un des pieds avait été envoyé au QG des conservateurs à Ottawa est accusé d’avoir torturé des chatons avant de commettre son dernier crime. La relation entre la violence infligée aux animaux et celle perpétrée contre des êtres humains a été largement documentée par des psychologues, des sociologues et des criminologues au cours des dernières décennies: ce qui commence souvent comme violence délibérée contre des animaux faibles et vulnérables se poursuit souvent en violence contre d’autres personnes.

Mais qu’arrive-t-il quand la violence envers les animaux est infligée sur une base régulière dans le cadre d’un travail quotidien, comme c’est le cas pour les travailleurs de l’industrie agricole animale? Cette violence peut-elle avoir des répercussions psychologiques ou émotionnelles affectant profondément le bien-être des travailleurs et de la société dans son ensemble?

Pour tenter de répondre à cette question, nous interrogeons le Dr Amy J. Fitzgerald, professeure agrégée au Département de sociologie, d’anthropologie et de criminologie à l’Université de Windsor, pour en apprendre davantage sur son travail de recherche concernant les abattoirs et la criminalité.

Dr Berreville / CETFA: Dans votre article intitulé: “Slaughterhouses and Increased Crime Rates: An Empirical Analysis of Spillover from The Jungle into the Surrounding Community“, vous compilez et analysez un grand nombre de données statistiques pour examiner le lien entre la violence et l’augmentation du nombre de crimes dans les communautés, et la présence d’un abattoir. Qu’est-ce qui vous a inspiré à faire de la recherche dans ce domaine?

Dr Amy Fitzgerald: Mon intérêt dans ce domaine a été stimulé par la lecture d’articles académiques sur les communautés au sein desquelles se trouvent des abattoirs. Ces articles mentionnaient que les taux de criminalité augmentaient dans les communautés où de grands abattoirs avaient été récemment implantés. Les auteurs de ces articles spéculaient sur quelques-unes des raisons possibles de ces augmentations, mais la nature unique du travail à l’intérieur des  abattoirs n’était pas mentionnée comme un facteur possible. Par conséquent, je me suis intéressée à examiner s’il y avait un lien plus général entre les taux de criminalité et les abattoirs, ou si ce lien n’existait que dans les communautés où de grands abattoirs s’étaient récemment installés, et si les facteurs supposés être responsables de l’augmentation de la criminalité (densité de population, taux de chômage, composition démographique de la communauté, etc.) pouvaient en fait expliquer cette relation.

Dr Berreville / CETFA: Quelles sont les conclusions principales de votre recherche?

Dr Amy Fitzgerald: Je pense que les deux conclusions les plus importantes de l’étude sont que (1) lorsque nous avons effectué des tests statistiques sur plusieurs corrélats communs de la criminalité dans les communautés, nous avons trouvé qu’il y avait toujours une relation significative entre les niveaux d’emploi des abattoirs et les crimes violents (viols, en particulier); (2) lorsque nous avons comparé les niveaux d’emploi dans les abattoirs avec les niveaux d’emploi dans d’autres industries similaires (similaires en ce qu’elles comprennent du travail routinier, dépendent fortement de travailleurs immigrés, et sont associées à des taux élevés de blessures et de maladies), il est apparu clairement que les abattoirs étaient uniques dans leur relation avec les taux de criminalité. En fait, la plupart des industries utilisées pour comparaison avaient une relation inverse avec les taux de criminalité.

Dr Berreville / CETFA: Dans votre article, vous suggérez que les abattoirs sont un environnement unique parce que les travailleurs traitent directement avec des êtres vivants et sensibles, et que la violence faite à ces êtres vivants pourrait conduire à une désensibilisation. Comment une désensibilisation à la souffrance des animaux pourrait-elle amener des gens à commettre des crimes violents envers d’autres êtres humains, y compris envers leur propre famille?

Dr Amy Fitzgerald: Notre étude démontre qu’il existe quelque chose d’unique quant à la relation entre les niveaux d’emploi des abattoirs et les taux de criminalité. Nous avons maintenant besoin de recherches plus poussées afin d’examiner exactement pourquoi cette relation existe.

Dr Berreville / CETFA: Pensez-vous que c­e processus de désensibilisation est amplifié dans les grands abattoirs où les exigences de production mènent à ce que de nombreux animaux ne soient pas étourdis correctement et soient égorgés, suspendus et démembrés alors qu’ils sont encore  vivants?

Dr Amy Fitzgerald: S’il y a un processus de désensibilisation en cause, alors je m’attends à ce qu’il puisse être exacerbé par le démembrement d’animaux qui sont clairement conscients.

Dr Berreville / CETFA:  Dans un article du Windsor Star relatant les résultats de votre étude, Neil Weston, propriétaire d’un abattoir de porcs à Windsor, déclare que l’industrie de la viande fait présentement face à des difficultés et que «des études qui lient l’industrie à quelque chose de négatif, même légèrement, est simplement injuste ». Que répondez-vous à ce genre de critique?

Dr Amy Fitzgerald: Je comprends que l’industrie de la viande ne soit pas contente des résultats de notre étude. Cependant, je suis en désaccord avec le fait que la communication de résultats de recherche qui peuvent être défavorables à l’industrie est injuste. Je pense que ce qui serait injuste serait de rejeter toute la responsabilité des conséquences négatives de l’industrie sur les producteurs ; les consommateurs (et les régulateurs dans certains cas) portent aussi une certaine responsabilité.

Dr Berreville / CETFA: Suite à la publication en 1906 du roman « La Jungle », qui examinait les conditions déplorables des travailleurs dans les abattoirs et leur exploitation, le président Theodore Roosevelt réforma l’industrie de la viande, ce qui entraîna une amélioration des conditions pour les travailleurs. Quels résultats espérez-vous de la publication de votre étude?

Dr Amy Fitzgerald: J’espère que cette étude entraînera d’autres recherches afin que nous puissions mieux comprendre la relation entre les niveaux d’emploi dans les abattoirs et les taux de criminalité. J’espère également qu’elle stimulera une pensée plus critique sur la façon  dont l’agriculture animale industrielle moderne et les abattoirs produisent de la viande.

Note : Cette interview avec Dr Amy Fitzgerald a été traduite de l’anglais. Pour voir les réponses originales, visitez le blog de CETFA en anglais à: http://cetfa.wordpress.com

Pour plus d’informations:

Références:

Sara C. Haden and Angela Scarpa, “Childhood Animal Cruelty: A Review of Research, Assessment, and Therapeutic Issues,” The Forensic Examiner 14 (2005): 23-33.

Fitzgerald, Amy J.; Kalof, Linda; Dietz, Thomas, Slaughterhouses and Increased Crime Rates: An Empirical Analysis of Spillover from ‘The Jungle” into the Surrounding Community, Organization and Environment, 22, 158-184, 2009.

Le site du Dr Fitzgerald:

http://amyfitzgerald.wordpress.com