Élection Québec 2012: Que prévoient les partis politiques pour une amélioration du bien-être des animaux de ferme? Partie 2: Option Nationale.

D’après un récent rapport du groupe ALDF (Animal Legal Defense Fund), le Québec est classé au dernier rang des provinces canadiennesen matière de protection animale. Cela s’applique particulièrement aux animaux de ferme, qui sont exclus de la loi sur la protection sanitaire des animaux qui est en vigueur au Québec.

Nous avons donc posé des questions aux différents partis concernant les mesures qu’ils s’engagent à prendre pour améliorer la protection des animaux de ferme au Québec.  Nous avons aussi demandé aux différents partis ce qu’ils pensaient de quelques unes des formes les plus cruelles d’exploitation des animaux de ferme, telles que l’utilisation des cages de gestation pour les truies, le gavage des oies et canards, et l’élevage des veaux en batterie.

Nous postons ci-dessous la réponse reçue du Dr. Samuelle Ducrocq-Henry, Professeure universitaire, directrice du Centre universitaire de l’UQAT à Montréal et candidate d’Option Nationale dans Bertrand:

« Je vous remercie de votre intérêt et souhaite de suite vous inviter à lire ma position[1] en faveur d’une refonte législative et d’encadrement d’un travail de fond sur la question de protection des animaux (domestiques, de ferme, de bouche et de travail). Nous souhaitons nous inspirer de la législation suisse, chef de file à bien des égards.

Cette position, appuyée par Option Nationale, sera ajoutée officiellement à la plateforme lors de sa prochaine mise à jour.

Comme candidate, étant propriétaire d’un haras, athlète équestre internationale et éleveuse de chevaux, je suis porteuse de ce projet chez Option nationale et porte-parole sur la question: je vise une vaste réflexion sur le rapport (y compris économique et socioculturel) qu’entretient le Québec avec ses animaux, et la tenue d’un audit des intervenants de terrain.

Les points que je soulève entraineront beaucoup d’opposition de certains milieux, j’en suis consciente : c’est un travail ardu que de changer des mentalités et il faudra argumenter sur le terrain économique et de la santé pour se faire entendre, bien avant de pouvoir mentionner l’intérêt des animaux. C’est triste, mais je le sais. Ceci dit, c’est possible si on travaille en étroite collaboration avec intervenants, vétérinaires et citoyens. Bien sur, ces positions vont se confronter aux intérêts des lobbys agroalimentaires et de nombreux corps de métier, parfois même vétérinaires comme me préviennent certains travailleurs. Mais sincèrement, la moitié de la population se choquerait des réalités d’impuissance face aux maltraitances, celles des refuges, des abattoirs ou du transport de bétail, si elle découvrait ce que nous connaissons d’un terrain souvent difficilement supportable. Nous ne sommes plus au Moyen-Âge, les animaux ne sont pas des meubles comme le prévoit la loi, et nous avons les moyens de mieux faire en 2012, surtout dans un pays considéré riche. Je lisais il y a peu que le Québec est vu, en matière de législation de protection des animaux, comme « le Tiers-Monde des Amériques». Il faut que ça change.

La question de la protection animale étant ma motivation toute personnelle en politique, et comme je ne supporte plus de savoir ce que je sais, devoir l’accepter sans rien faire m’est inconcevable. Autrement dit, si j’ai conscience que je vais apprendre des horreurs sur le terrain en prenant ce dossier à bras le corps, vous avez quoi qu’il en soit la personne qu’il vous faut pour lutter contre les abus de toutes sortes, qu’il n’est tout simplement plus possibles d’accepter. Je pense à ces milliers de travailleurs dans les filières agroalimentaires où les animaux sont traités comme « de la viande sur pied »: comment font-ils, eux aussi, en rentrant chez eux le soir?

Vous avez ma parole, et mon engagement des plus personnels, à ce que je mène ce dossier à bien, et ce prioritairement, une fois élue. Je le porte au cœur depuis mon enfance, et les animaux, qui participent de mon quotidien familial, affectif et économique, sont souvent mon principal réconfort sur terre quand les détresses humaines me laissent sans voix.

Quoi qu’il en soit, je me permets de vous répondre précisément sur ces points assez douloureux quant aux mœurs insupportables de l’industrie agroalimentaire envers les animaux de boucherie. Si vous me permettez, je réponds directement dans votre texte pour aller directement aux points mentionnés.

CETFA: Si vous êtes élue, vous engagez-vous à supporter des modifications de la loi sur la protection sanitaire des animaux pour abroger cette exception, et aborder les problèmes de bien-être des animaux de ferme dans les élevages?

Samuelle Ducrocq-Henry: En effet, c’est même ma position personnelle : ce ne sera pas un combat évident car les consortiums sont puissants et le mur, dur à percer, étant donné les enjeux économiques. Ceci dit, cela n’excuse selon moi en rien les inhumanités que l’on faire vivre aux animaux de bouche, qui méritent une vie tout aussi décente que leur mort. Vous avez mon avis sur la question dans ma proposition détaillée de refonte législative, nommée plus haut. J’y ajoute un lien où l’on me citait voici peu, alors que je prenais part à une marche contre la violence sur les chevaux à Huberdeau – j’étais la seule politicienne présente d’ailleurs, et que j’étais interviewée par la presse :

http://www.hebdosregionaux.ca/laurentides/2012/05/06/manifestation–ce-nest-plus-le-moyen-age-

CETFA: Quels sont votre opinion, et l’opinion de votre parti, sur: a. l’utilisation de cages de gestation, qui confinent pendant la majorité de leur vie les truies reproductrices dans des conditions si restreintes qu’elles ne peuvent même pas se retourner;

Samuelle Ducrocq-Henry: C’est inacceptable; et l’élevage intensif connait aussi des limites économiques, ce qui devrait nous aider à faire la démonstration de son inutilité et de sa barbarie. Il faudra le faire valoir. Nous payons le prix de ces aberrations en ajout de médicaments dans l’alimentation des animaux, en conséquence directe des abus que l’on impose aux bêtes, notamment avec ce mode de vie qui ne respecte tout simplement pas leur état d’être vivant, et qui les affaiblit, ainsi que leur système immunitaire, obligés qu’ils sont de vivre ainsi parqués.

CETFA: b. l’élevage des veaux en batterie, où les animaux, séparés de leur mère à la naissance, sont confinés dans des boxes individuels dans lesquels ils ne peuvent marcher, se retourner ou se coucher confortablement, et sont privés de contacts tactiles et sociaux;

Samuelle Ducrocq-Henry: J’ai assisté à un vêlage au Québec : et c’était fait avec un cric. Quelques minutes plus tard, j’assistais à une vision insupportable, qui était aussi une aberration économique et éthique. D’abord parce que la vache et son veau hurlent en vain lorsqu’on les sépare, et cela dure des heures. C’est déjà déchirant à voir. Ensuite, la vache est traite quand même, et le colostrum est jeté aux ordures alors que les défenses naturelles du veau s’y trouvent et ne lui serviront pas. Il est parqué, en état de détresse complète, dans un igloo de plastique, sans aucun réconfort, juste sorti du ventre de sa mère. De fait, il est ensuite nourri avec des préparations douteuses, ce qui nuit au final, aux consommateurs, sa viande étant gorgée d’additifs chimiques inutiles qu’on lui octroie en compensation. Et je serai curieuse de connaître les analyses portant sur le lait.

J’ai parlé avec du personnel de cette ferme et les gens ne savaient même pas qu’ailleurs, on procède autrement. En tout cas, ce n’est pas ce que j’ai connu en Europe dans les fermes de mon enfance. Au contraire, les mères et petits vivaient ensemble leurs premiers jours, au grand air le plus souvent ce qui renforçait efficacement la santé des jeunes. Les veaux étaient ensuite placés dans des « maternelles », où ils vivaient en groupe au lieu d’être isolés et confinés dans un stress qui doit être dénoncé et filmé pour que les consommateurs sachent tout de la réalité de ces animaux, derrière la chaine alimentaire qu’ils consomment. Je veux agir avec les médias et les inviter à me suivre sur le terrain.

CETFA: c. le gavage forcé des canards et des oies pour la production de foie gras, responsable de blessures physiques (lésions de l’oesophage, éclatement du jabot, etc.) et d’ hypertrophie du foie (devenant 6 à 10 fois son volume normal). Ce dernier mène au développement de stress thermique, d’insuffisances respiratoires, et d’une maladie connue sous le nom de stéatose hépatique;

Samuelle Ducrocq-Henry: Je dois dire que venant d’un pays dont c’est une des traditions, je le vis aussi mal, culturellement parlant, que les défenseurs des droits des animaux doivent vivre la tauromachie en Espagne. Je n’ai pas de réponse à donner sur cette question, si ce n’est de formuler l’hypothèse naïve de demander s’il existe des alternatives à ces méthodes que je juge barbares et dépassées, bien qu’elles appuient une tradition culinaire, sur laquelle je ne sais pas quel argument de compensation présenter. Je vous réponds donc en toute franchise, et vous retourne à mon tour cette question, à savoir : avez-vous des solutions à  me suggérer pour les producteurs de foie gras? Je souhaiterais me renseigner davantage sur leur impact et poids au Québec.

CETFA: d. l’utilisation, pour les poules pondeuses, de cages en batteries dans lesquelles les animaux n’ont pas la possibilité d’exprimer leur comportement naturel;

Samuelle Ducrocq-Henry: Des normes d’espace et de conditions de vie basiques au niveau relationnel sont à imposer. Les éleveurs le feront-ils? Pas sans contrainte et application de la loi, je le crains. Mais oui, ils devront suivre, si nous avons le bras assez long pour la faire appliquer. Je pense qu’il faudra peut-être créer des brigades préventives pour la protection des animaux, et étendre les possibilités d’action de la SQ pour verbaliser tout abus plus rapidement sur le terrain. Le travail doit aussi être fait en amont, au niveau de l’éducation des citoyens et consommateurs. A-t-on besoin de manger de la viande à chaque repas? Non. La viande n’est par exemple pas recommandée le soir sur le plan de la santé. Nous mangions maigre dans mon enfance certains jours et en soirée, c’était souvent une soupe, salade et au lit! Peut-être faut-il apprendre à consommer moins de viandes, ce qui va permettre de détendre la tension au niveau de la production de viande qui ne cesse de croitre. Les animaux dont le rythme biologique s’étend sur des années, ne peuvent plus suivre l’appétit acéré de nos fourchettes, aussi l’industrie diminue tout ce qu’elle leur consacre, en espace, en temps, en soin. Au point où des recherches portent actuellement sur le clonage fidèle de molécules de steaks, reproduites pour multiplier la viande, le tout en se débarrassant carrément de l’étape du vivant. Oui, vous avez bien lu. Quand on en arrive là, on doit réfléchir, en termes de société, à l’avenir qu’on se fabrique collectivement : peut-on déjà penser à traiter le vivant, un instant, comme s’il l’était vraiment?

CETFA:  e. l’utilisation de stabulation entravées pour les vaches laitières, un mode de conduite où les vaches restent attachées dans une salle avec peu de possibilité de mouvement pendant une, plusieurs, ou toutes les saisons de l’année.

Samuelle Ducrocq-Henry: Là aussi, j’ai connu et vu des situations similaires par le passé, y compris en France. Si des normes doivent être posées, sans doute devraient-elles relever d’un accès quotidien à l’extérieur (et notamment à la lumière du jour direct) de mai à novembre par exemple, pour permettre mobilité et échanges relationnels entre animaux, ce qui favorise leur bien-être émotionnel, donc leur santé. Imposer également le suivi des mesures préconisées par la Dr Temple Grandin, spécialisée dans la gestion/ l’ergonomie de la mobilisation de bétail, notamment dans les infrastructures d’abattoir, etc. serait une voie à explorer, et que je préconise en tout cas : c’est innovateur et le taux de stress des bêtes est réduit drastiquement.

J’ai aussi eu vent des « nouvelles modes » incompréhensibles de l’agroalimentaire, notamment de ces éleveurs qui distribuent des « annuaires » aux vaches pour les nourrir à moindre frais, ici, au Québec. Des personnes travaillant dans le milieu ont assisté il y a quelques mois à des conférences qui les ont laissées stupéfaites. Quand elles ont eu compris qu’il était bien question de ce qu’elles venaient de comprendre, leur plus grande surprise fut de voir que cela n’étonnait personne dans la salle, le poids de vue éthique n’étant tout simplement même pas soulevé. La chaine de production de la viande fait que les éleveurs tentent de réduire au maximum leur coût, car transport, maquignonnage et distribution prennent la part large, tandis qu’il ne reste presque rien pour eux, qui font grandir les bêtes. Ils développent donc des trucs pour remplir les estomacs à moindre coût. Il y a donc beaucoup à faire quand on réalise où on en est rendu.

CETFA: Si vous êtes élue, vous engagez-vous à supporter des modifications de la législation visant à éliminer certaines de ces pratiques, ou toutes ces pratiques?

Samuelle Ducrocq-Henry: Si je suis élue, en dehors de la souveraineté, oui, totalement. C’est mon plus ferme et plus personnel engagement, et vous avez ma parole. Et n’étant pas encore « contaminée » par les mensonges éhontés  avec lesquels semblent (bien) vivre nombre de politiciens de carrière (car je reste une professeur chercheur de formation et non une politicienne en soi), je peux vous dire que ma parole sur ce sujet est coulée dans le béton. J’ai chiens, chats et chevaux à la maison; nous vivons en harmonie avec eux et assurons à chacun une vie relationnelle épanouie dans un respect mutuel: je sais que c’est possible d’appliquer une nouvelle approche et vision des animaux, car je la vis tous les jours. Il faut aussi suivre les découvertes de la recherche en sciences de la nature et des communications : l’éthologie nous apporte de nouvelles façon de communiquer avec les animaux, de les déplacer ou d’obtenir leur collaboration. Bien appliquées, elles peuvent faire gagner un temps précieux aux éleveurs et réduire le stress des bêtes. L’innovation doit toucher l’industrie agroalimentaire, non plus seulement selon une logique de quantité, mais aussi de qualité.

CETFA: Y-a-t-il d’autres mesures que vous vous engagez à prendre, ou que votre parti s’engage à prendre, pour améliorer la protection des animaux de ferme au Québec?

Samuelle Ducrocq-Henry: Nous souhaitons nous aligner sur la législation suisse et offrir des déductions fiscales pour permettre aux éleveurs de déduire de leurs impôts, certains frais, comme une anesthésie locale lors de la castration des taureaux et chevaux (la plupart des éleveurs de gros troupeaux et non de sports), le faisant par la force, à froid, sans anesthésie. Un documentaire là-dessus, glacerait les sangs de tous les québécois. Agissons donc plutôt de façon préventive. On peut soutenir aussi la mise à jour d’infrastructures, du manque à gagner sur l’allaitement si on laisse vache et veau ensemble pour utiliser sainement le colostrum, et proposer des normes minimale de traitement pour les animaux de boucherie, avec des incitatifs. L’État y regagnera sur la santé de ses citoyens qui consomment on ne sait plus trop quoi finalement.

Pour ce faire, nous voulons réaliser un audit avec intervenants de terrain, aussi bien des refuges, des corps vétérinaires et des cadres d’inspections agroalimentaire.

Retirer la gestion des chevaux de sport etc. aux frontières, qui relève actuellement des services de l’inspection alimentaire, pour les confier à un ministère dédié à la fois à la protection des animaux, de la faune et la flore et de l’environnement serait aussi à mon sens un glissement culturel nécessaire et le signal d’un changement de vision des animaux, qui s’impose d’urgence.

Ceci dit, notre plus gros effort et le plus payant, sera de s’attaquer au problème culturel à la base, car il faut former les enfants au plus jeune âge au respect du vivant pour un travail efficace à long terme. Y compris des animaux domestiques, trop souvent traités comme le nouveau gadget qu’on relègue aux poubelles lors du prochain déménagement. C’est d’ailleurs là qu’ils finissent, euthanasiés, comme 80% des 500 000 animaux domestiques abandonnés chaque année au Québec. Ces sujets sont tabous, mais il faudra aller au front pour éveiller les consciences. Heureusement, nombre de citoyens et bénévoles œuvrent déjà beaucoup en ce sens et les médias peuvent énormément aider. Je compte aussi sur eux pour sensibiliser les citoyens car malheureusement, en termes de visuel de terrain, on peut difficilement trouver des images plus choc.»


[1] Choisir: “fil de nouvelles”, en haut à gauche.